• Une soirée belle à Sienne

        Un jour, il faudra qu'on m'explique comment je me suis retrouvé là. J'avais rien demandé. Rien. Il a suffi que je veuille faire plaisir. C'est comme ça que les ennuis commencent généralement. On s'engage, on promet, on assure. Et puis on se retrouve dans un de ces sales bourbiers. Lamentable bouffonnerie. Y avait je ne sais combien de zouaves au mètre carré dans un espace qui empestait la transpiration. Tous à gesticuler, à se déhancher, à se désarticuler pour une raison difficile à comprendre. "S'amuser" vous dites ? Ah ! C'est la meilleure ! Est-ce amusant d'attendre comme un guignol dehors dans le froid parmi une marée abominable de personne jusqu'à ce qu'on vous laisse entrer dans un four !? C'est le choc de température qui vous plaît là-dedans ? Ou bien le fait de se compresser les uns les autres à en faire étouffer son voisin ? Non je sais ! C'est tellement plus gratifiant de se faufiler comme une anguille suivant le flux de la foule pour terminer devant une brute qui vous dit de refaire la queue. Ahah ! J'y suis ! C'est un jeu en fin de compte. Celui qui arrivera indemne jusqu'à la porte en inventant mille et un stratagèmes pour le faire le plus vite possible et ensuite utiliser sa farouche hypocrisie pour que l'autre gonze vous fasse rentrer.


        Je suis quand même dur, c'est vrai. Cette soirée était peu commune et elle s'est terminée très soudainement. Et même si on n’aime pas, il faut y aller au moins une fois pour l'expérience. C'est aussi un lieu pour se lâcher, faire le pitre ou bien trouver quelqu'un avec qui bécoter toute la soirée. Au choix. Mais quand on y va c'est pour avoir de l'alcool dans le sang en général. Tout le monde est alors Jocrisse. Tout le monde fait n'importe quoi. Du coup y a des grosses bidonnades. Ça me rappelle que Nils était bien entamé ce soir-là. Il était là à badiner sur chacun pendant qu'on faisait la queue. Spécialement sur un vendeur de crêpe qui était encore ouvert. Il avait une sale envie de bâfrer.
    "Eh l'ami ! Tu me donnerais une de tes crêpes ? Quoi !? A ce prix-là ! Ohoh j'ai compris ! Monsieur a mis sa petite cravate pour vendre ses crêpes plus chers ! Ahah ! C'est qu'il s'est mis sur son trente-et-un pour les vendre ! Le petit filou."
    Le petit vendeur disait rien. Heureusement d'ailleurs. Il avait sûrement dû en voir d'autres. Mais voilà que l'autre charrie ceux de devant. Il en a plus envie de ses crêpes. Il préfère maintenant railler un type portant une marinière. Ahah il se marre bien. Nous aussi, faut le dire. Seulement trêve de plaisanterie, les choses sérieuses arrivent. On approche de l'entrée. Là où la foule prend la forme d'un entonnoir. Ça pousse de tous les côtés. On essaye de rester au centre, face à la porte. Ouah le courant m'emporte vers l'arrière. Je m'agrippe à ce que je peux ! C'est bon je tiens l'épaule de Nils ! Il est complétement lucide à présent. Il sait très bien comment faire dans ces situations contrairement à moi. J'ai juste à bien le tenir et essayer de rester stable face à ces satanés mouvements de foule. Zoup, on se faufile. Ça y est, on est devant la grosse brute. Il reste plus qu'à jouer de nos simagrées devant lui. Hop ! On y est !


        A partir de là, on peut souffler un peu. La première étape est franchie. On jette un regard en arrière pour se foutre de la gueule de ceux qui sont restés coincé dehors. Chacun pour soi, c'est la règle ! Maintenant il s'agit de se faire fouiller comme des malfrats. Sait-on jamais, il existe un meurtrier au fond de chacun de nous après tout. Y en a bien qui essayent de faire passer des choses en douce. Rien de bien méchant en somme, ils veulent juste se faire plaisir. Faut dire que tout le monde n'a pas la bourse à Rothschild. Surtout qu’on n’en a pas fini de payer. On vous fait bien miroiter des gratuités mais il faut pas se leurrer, la balance est toujours défavorable. C'est pathétique d'appâter les autres comme ça. Le plus triste c'est que ça marche...


        La pause étant finie, il faut retourner dans une nouvelle foule. Et c'est reparti pour un tour ! Au bout, on donne de son flouze et de ses affaires contre un ticket. Ticket qui devient la hantise de la soirée. "Où est-il ? Merde je l'ai perdu ! Comment je vais faire pour récupérer mes affaires !? Nom de Dieu de bordel de... Ah le voilà !"
    Bon, en principe quand on en est enfin là, on va danser, rencontrer des gens, faire la fête quoi. Le seul hic c'est que moi j'ai pas envie de danser ni rencontrer des gens ce soir-là. Je suis le cheveu sur la soupe. Le seul idiot qui va en boîte pour faire son asocial. Je me déteste mais il reste en moi une pointe de fierté d'être le chieur de service. Roh allez je me lance ! J'ai les deux zigotos qui m'accompagnent et qui me font bien rire après tout. On saute partout en se tenant les épaules. On ne forme plus qu'un seul et même bloc, instable, imprévisible. Tantôt à gauche, tantôt à droite. Je trébuche. J'entraîne les deux en avant. On se cogne aux gens de devant. Ils nous repoussent. On repart en arrière. Ouah ! Nous voilà devant les enceintes. J'ai les tympans vrillés. On repart. On bouscule tout le monde autour de nous. On s'en tape, ça nous fait bien rire. Oula ! Attention ! J'ai remarqué deux colosses qui sont sur le point de se mettre sur la gueule. Surtout celui à ma droite. Ces yeux ! Ils me glacent le sang. Il avait l'air fou avec son sourire carnassier et son regard meurtrier. Je m'amuse plus du tout. Je décide alors de le pousser dans le dos de toutes mes forces à deux mains. Ça a marché ! Le voilà entraîné par le flot de personnes autour de nous. Je l'ai plus revu de la soirée. Ahah j'espère qu'il s'est noyé là-dedans ! Au moins il m'a pas vu, c'est déjà ça. Faut bien que ça serve parfois d'avoir un caractère discret, un peu fourbe sur les bords je le concède. Fiou que d'émotions ! J'ai besoin de souffler.


        On décide alors de "se reposer" dans le fumoir. Quel endroit ! Imaginez-vous une pièce sombre avec un tapis de cendre et un brouillard de fumée à couper au couteau. Faut avoir envie... On y rencontre un sacré numéro. Un meuble devrais-je dire, plus large que haut. Il nous explique qu'il veut devenir pompier. Il s'entraîne dur, c'est sa première soirée depuis trois mois. Ceci étant, malgré son entraînement physique intensif, il fume comme un pompier si je puis dire. Il fallait le voir allumer clope sur clope. La fumée avait pas l'air de le gêner. Quelle ironie ! Moi j'en pouvais plus de cet endroit. Besoin d'oxygène, les yeux qui pleurent. Ouch, je me barre en plein milieu de la conversation faut pas déconner ! Même en sortant j'y vois plus rien. Je marche sur les gens assis dans les escaliers, je trébuche, je vacille. Je me fais salement incendier. Ils commencent sérieusement à me taper sur le système ces gogols ! Je marmonne dans ma barbe qu'ils avaient qu'à pas être là. Bon, ça m'empêche pas de faire comme eux cinq minutes plus tard. Nils m'a rejoint, on a décidé qu'on avait plus envie d'aller dans la fournaise de la piste de danse. On préfère alors faire les salops et se payer la tête des gens tout saoûl.
    "Eh celui-là à l'air bien frais tiens. Attention à la marche ! Hop là ! Ahah ! Râté ! Dommage !"
    On en voit un qui est au stade "tout le monde est beau, tout le monde est gentil". Il est en train de discuter avec un vigile.
    "Euh... Vous savez j'admire votre métier hein ! Moi je suis pas un mec qui fait du bazar vous voyez bien. Je suis réglo avec vous. Je vois pas pourquoi on devrait toujours se brouiller avec vous. C'est cool, on est là pour s'amuser vous savez bien. Je suis... J'suis réglo quoi. Enfin vous voyez bien. On n’est pas là pour faire des bêtises ça non. Je... Je profite vous savez. Vous aussi vous êtes réglo avec moi, ça se voit bien. On n’est pas là pour se prendre la tête... Euh... C'est par où déjà les toilettes ?"
    Le vigile ça le fait bien rigoler d'avoir affaire à ce drôle d'oiseau. C'est à se demander s'il y en a qui serait pas plus lucide après avoir bu. Théorie à vérifier.


        Soudain une rumeur monte. Ça s'agite un peu partout. Les gens commencent à aller vers le vestiaire pour partir. Bizarre, le premier métro est dans encore deux heures. On essaye de savoir ce qu'il se passe. La police est là qu'on nous dit ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire encore ? On creuse un peu. Attouchement dans la file d'attente pour entrer ?! Je ne sais que croire... Mais les bourres sont là, y a pas à dire. A ce moment précis, je commence à vraiment regretter d'être venu. Je suis le groupe, il n'y a plus que ça à faire, la soirée s'arrête là. C'est reparti pour faire la queue pendant une heure pour récupérer nos manteaux. Heureusement que Nils est toujours là pour déjouer la file d'attente. Je lui confie mon ticket. J'attends qu'il revienne... Je suis en train de me sentir mal. De l'air ! J'étouffe ! J'ai besoin de sortir dehors. Je trouve finalement une bouche d'aération, l'air y est plus frais en dessous. Je reste planté là en soufflant comme un bœuf. Nils me fait signe au loin. Il a mon manteau. Ouf, juste à temps.
    Nous voici dehors. Une voiture de police en face. Une fille en pleure au téléphone. Je crois comprendre qu'elle était là lors de l'agression à travers les quelques bribes de la conversation que j'entends. Ambiance lugubre... Beaucoup de gens sont là, à attendre sur le trottoir en espérant avoir quelques détails. Moi j'ai juste envie de rentrer mais faut attendre les potes de Nils qui sont encore à l'intérieur. Lui est pris d'une terrible soif. On peut plus rentrer dans la boîte alors il demande à un peu tout le monde dans la rue. Personne n'en a ou veut lui en donner. Il se décide à aller voir les condés à côtés de leur voiture. Ils semblent stupéfaits. Reconnaissons-le, c'est pas très courant comme manière d'agir mais après tout pourquoi pas. Apparemment c'est trop absurde pour les deux agents... Passons.    
    Tout le monde est finalement réuni, on se dirige vers une station de métro, Nils prend la tête de proue toujours de bonne humeur. Il me semble qu'il se trompe de direction mais je me suis renfermé à ce moment-là. Plus envie de parler à personne. J'étais dégoûté. Il s'est avéré que j'avais raison sur le chemin qu'on aurait dû prendre. Demi-tour toute ! On se rend compte qu'on a perdu des gens au passage. Tant pis. On retrouve cette maudite station, il ne reste plus qu'à attendre que ça ouvre. Je m'adosse contre un arbre à l'écart des autres. J'observe une nana de l'autre côté de la rue qui gueule au téléphone. Sa voix fait des trémolos, elle est sur le point de craquer. J'entends que ça parle d'une histoire de clef qu'elle a laissée chez l'interlocuteur et qu'elle ne peut plus rentrer. Un type vient soudainement me sortir de mes pensées. Il veut me vendre du shit. Je décline son offre. Je me sens presque vexé. Ah la belle image qu'il me donne devant les autres ! Je me renfrogne encore plus. C'est définitivement le pire moment de la soirée. J'attends, à ne rien faire. Et durant tout le reste du trajet ce ne sera que des épreuves de patience puisque l'on rate toutes nos correspondances.


        Je regarde les autres s'endormirent un à un dans le train du retour. Cette ambiance m'apaise. Il fait encore nuit, tout est calme dans le wagon. Je me perds dans mes esprits face à ce magnifique silence. Je repense à ce qui s'est passé ces dernières heures. Ce n'était peut-être pas une si mauvaise soirée en fin de compte.

    Nicolas


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