• Autour d'une tasse de thé

                    Le jour. Non pas un jour comme on pourrait communément se l’imaginer. Le jour, gris, sombre, oui. Ce jour maussade et triste qui rend les choses fades. Les nuages. Formes disgracieuses se laissant porter par un vent quelconque et s’étalant dans le ciel. La fenêtre. Par laquelle s’offrait tout ce spectacle morose.
    - Viens donc t’asseoir prendre le thé plutôt que de rester planter devant ta fenêtre. Tu y passes déjà assez de temps.
    - Sans doute.
    - D’ailleurs, as-tu vu le facteur passer ?
    - Sûrement. Pas de souvenir.
    - Eh bien j’irai regarder ça tout à l’heure. Tiens. Le sucre. J’ai encore oublié de prendre les cuillères. Tu as vu, Gervaise a donné naissance à deux jolis garçons. Je me demande qui est le père.
    - Gueule-d’or, c’est sûr.
    - Comment peux-tu en être aussi certain ? C’est ton copain Gueule-d’or ? Et puis arrête de l’appeler comme ça, veux-tu !
    - Tes deux bambins bessons, ils sont blonds comme les blés. C’est cousu de fil blanc. Je l’ai bien cerné moi ce Gueule-d’or ! Il parle pas beaucoup, ça non. Muet qu’on pourrait croire. Il chante, c’est tout. Ça plaît aux femmes. Voilà comme il s’y prend !
    Le silence. Un moment.
    - Pourquoi es-tu si pensif ? Quelque chose ne va pas ?
    - Je repensais juste à ce pauvre Albert. C’est tragique.
    - Oui, terrible accident, n’est-ce pas ?...
    - Oui, oui… Seulement… Je me souviens de ce qu’il me disait, il y a maintenant quelques années. Tout ce qu’on a essayé de combler pour s’en sortir, ce fossé infernal, on n’est jamais parvenu à le boucher. C’est vrai, maintenant je m’en rends compte : je m’imaginais que le monde était à moi, je le tenais bien dans ma main. Désormais, ce n’est plus que de l’eau qui coule, insaisissable. Tout ce que j’ai appris pour m’assurer d’être bien là, en chair et en os ; tout ça n’était que belle poésie en fin de compte !
    - Qu’est-ce que tu racontes ? C’est absurde !
    - C’est bien ça le problème, tout est absurde.
    - Oh, arrête un peu. Tu te fais vieux voilà tout.
    - Peut-être.
    Dehors, le vent se levait et de fortes bourrasques ébranlaient la maison. La complainte du vent passant par les joints usés de la fenêtre renforça cette atmosphère lugubre qui s’installait.
    - Je vais me coucher.
    - Déjà ?! Il ne fait pas encore nuit !
    - C’est tout comme.
    - Tu ne finis pas ta tasse ?
    - Qu’est-ce que j’en ai à faire ? Rien n’est fini, tout est à refaire. Laisse-moi, je suis fatigué.
    Le croassement d’un corbeau.
    - Bonne nuit…
    Pas de réponse.

     

    Nicolas


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