• Les tunnels de Paris

        Prochain train dans trois minutes, le suivant dans sept minutes... Y avait déjà du monde sur le quai, et ça faisait qu'empirer. Trois minutes à cette heure-ci c'est déjà trop. Ça commençait sérieusement à s'agglutiner derrière moi, et puis à gauche, et puis à droite... Mais moi j'étais idéalement placé. Je connaissais l'endroit exact où cette foutue porte se trouvait une fois la rame arrêtée. L'habitude ça peut être pratique. Ça me foutait sacrément en rogne quand un de ces salauds était à ma place. Il avait bien de la chance ce cocu ! Pile au bon endroit. Je déteste ces gens-là ! Ah ! Le hasard fait bien les choses pour les autres oui ! Dans ces cas-là, faut se mettre juste sur le côté en espérant que l'autre se fasse happer par le flot sortant. Qu'il se noie dans cette masse qui jaillit lorsqu'elle est libérée de cette cocotte-minute sur rail. Au moins qu'il soit repoussé derrière moi. Faut savoir bien se placer en toute circonstance sinon ça pardonne pas. Même à l'intérieur, rien n'est joué. Le coin tranquille est pas évident à trouver. Parfois y'en a pas, d'autres fois c'est qu’on n’a pas été assez rapide, ou alors c'est que ce coin il devient plus bon du tout quand entre un troupeau d'espèces de toutes sortes. Des jeunes, des vieux, des enfants, des mamans, des poussettes, des accordéonistes, des guitaristes, des farfelus, des marginaux, des inquiétés, des inquiétants, des râleurs, des rigolos, des pleurnichards, des prolixes, des laconiques,... tous se poussent et s'entassent dans cet espace confiné. Et alors commence la foire, ça piaille, ça rit, ça pleure, ça chante, ça s'énerve, ça se console, ça se cajole, ça quémande... On peut mettre une croix sur l'espoir d'un trajet tranquille. On s'isole alors le plus possible pour qu'on nous laisse en paix. Et quand bien même on pense réussir à échapper à tous ces représentants divers et variés de la société, le boucan infernal du métro nous rattrape indéniablement. On devient malgré nous des acteurs de cette machine qu'est le métropolitain. Cette pompe qui alimente toute une ville, tous ces organes que sont les entreprises, les hôpitaux, les écoles,... Chacun déambule dans ces couloirs puant l'urine à vous donner la gerbe. On marche, on n’a pas le temps de s'arrêter devant ces futiles publicités, certains courent quand au loin retentit l'abominable sonnerie.

        Pour une fois, j'étais assez peinard à ma place. Y a des moments comme ça où les gens sont las de toute cette mascarade. Je les comprends mais j'irai pas jusqu'à les plaindre. Après tout, ça me fait des vacances à moi aussi. Soudain une espèce d'énergumène entre et se met à faire des aller-retours dans le wagon, une canette de bière à la main. On le dévisage. Les gens ça aime pas voir des comportements inhabituels. Faut que leur petite routine continue, bien sagement, sinon ça les effraie. Le type était juste paumé. Dans le fond, il voulait de mal à personne. Il s'est finalement assis à côté d'une jeune donzelle et lui a causé. Elle savait pas trop quoi lui répondre à tout son charabia imprégné d'alcool. Elle a vite filé à l'arrêt suivant et a été remplacé par un jeune gars. Même scénario. Au final, le type à la bière a serré la main de son voisin et est sorti. Sans doute pour aller vomir son surplus d'éthanol dans une poubelle. Jusqu'à sa sortie, il avait été épié le pauvre bougre. Jugé, catalogué, placé dans la catégorie nuisance par nos chers voyageurs. Ils s'occupent comme ils peuvent.


        Le soir c'est l'un des moments calme. Peu de gens mais peu de métro en contrepartie. Il s'agissait alors de s'occuper dans cette longue attente sur les quais de la une à Châtelet après une correspondance. Un type vient me déranger dans ma lecture, ça m'énerve sur le coup. Faut le dire, à force de se terrer dans son coin face à la populace des souterrains on perd l'habitude de parler aux inconnus du dimanche. Le gars me dit de compter les caméras présentes sur le quai. Une toutes les cinq mètres ! A ce niveau-là plus rien ne m'étonne, j'ai pas réussi à lui faire comprendre ça. Antoine qu'il s'appelait. Pourquoi qu'il me raconte ça à moi ? L'affinité du chapeau sans doute. Bref, il continue à me baratiner sa théorie des caméras. "C'est plus que Big Brother is watching you... Big Brother regarde moi ! On ne dit plus rien face au nombre exponentiel de caméra en France ! Sincèrement vous avez quel âge ? Et en 10 ans vous avez eu l'impression que la délinquance augmentait ?! Que l'insécurité se faisait de plus en plus ressentir ?! Non, hein !... Mais on ne dit rien !... La population aime à se faire filmer ! Inconsciemment sûrement ! Comme si... comme si c'était la preuve de leur existence ! Nous sommes dans un monde qui se virtualise et on s'y habitue ! On devient dépendant de nos téléphones, de nos télévisions, de nos ordinateurs !" J'ai pas écouté la suite, je me suis moi-même perdu dans mes pensées, à ce que j'allais bien pouvoir lui répondre tout en ayant l'air d'être intéressé un minimum. C'est quand même rare qu'on vous parle comme ça à la première rencontre. Il fallait bien que je fasse semblant de m'y intéresser, sinon ça l'aurait vexé. Il a ensuite parlé de l'autorégulation des flux dans le métro. Comme quoi, les flux de personnes se formaient d'eux-mêmes en fonction de la largeur du couloir et du nombre de voyageurs. Il avait même fait sa petite expérience ! "Vous savez, je me suis amusé à remarquer quelque chose ! Si on se décale légèrement vers le flux opposé, eh bien sa largeur diminue au profit du mien !" Y'avait du vrai dans ce qu'il avait dit là. Finalement ça m'a fait passer le temps son petit discours, on était déjà au terminus. Il me serre la main et me dit qu'il espérait à bientôt. J'ai dit oui puis je m'en suis allé, connaissant la probabilité de ce bientôt qu'on m'avait déjà dit tant de fois...

     

    Nicolas


  • Commentaires

    1
    yuiok
    Vendredi 10 Février 2012 à 00:16
    exellent !!
    2
    mat
    Dimanche 12 Février 2012 à 12:41
    Je suis bluffé! Juste avant j'ai lu ton passage de Céline, et là je retrouve le même style, en particulier le même ton désabusé, l'atmosphère d'un monde nauséabond, une écriture qui provoque beaucoup de réactions émotionnelles et rationnelles. C'est grand ce que tu fais là. Je ne sais pas si c'est parce que Céline est vraiment proche de ta façon de percevoir les choses, ou si tu es capable de t'imprégner de n'importe quel auteur avec autant de réussite , mais un grand bravo!! J'attends d'autres textes personnels avec impatience ;)
    3
    Lisa
    Jeudi 23 Février 2012 à 16:48
    Superbes textes ! Bravo !
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