• Le chant du dragon doré

        A-t-on déjà connu un silence aussi profond que celui d'un public qui attend la première note de l'orchestre ? Il faut croire que non. Tout le monde retient son souffle, il n'est pas question d'éternuer ou de tousser sous peine d'être haï par toutes les personnes qui vous entoure. Puis, tout doucement, le premier sifflement monte et vous soulage de l'attente. Très vite, il est suivi par un deuxième, troisième, dixième, vingtième autre sifflement venu d'horizons différents. Ils vont et viennent à leur gré mais toujours de façon progressive. Pas de brusquerie, il ne faudrait pas briser cette douce continuité. Rond, rond, ainsi sont les notes et accords. Vous courbez l'échine pour mieux vous faire caresser. A votre tour vous devenez rond, bulle, léger, flottant au-dessus de tout. Déjà, la concentration s'échappe au lyrisme de l'instant. L'esprit s'envole, le temps n'a plus de prise, seule la dimension de la mélodie est prise en compte. Cette dimension inconnue et insaisissable n'a jamais été aussi proche. Vous nagez dedans, ou peut-être préférez-vous vous laisser porter par le courant, c'est naturel et régulier. Je pense sans vraiment penser mais voilà que le silence retombe, doucement, pareillement à la mélodie. L'harmonie aura duré du début à la fin. Comme pour le silence initial, il faut attendre que la dernière note tenue disparaisse dans le Néant avant de pouvoir applaudir.

        En vérité, il existe plusieurs façons d'écouter un morceau. D'une manière globale comme précédemment, à savoir considérer le Tout, l'ensemble des parties sans en laisser une en retrait. Une vision, ou plutôt une écoute, plus légère, presque frivole mais qui n'en reste pas moins belle. L'autre, à l'inverse, plus discrète, qui cherche à identifier le particulier, l'élément qui dénote et émerveille. L'analyse précise de la partition d'un instrument isolé au sein de l'orchestre tout entier. Pas seulement les solistes qui se montrent en avant, mais aussi la rythmique, celle qui structure et pose le décor. Tambours, cymbales : ils marquent le temps invariablement et cadrent leurs camarades plein d'ardeur. Et puis les basses ! Mes favorites ! Celles qui viennent faire le lien entre rythmique et mélodie. Toujours très carrées et rigoureuses. A chaque temps, à chaque coup, elles seront présentes, remplissant le vide autour d'elles. Voyez le creux qui s'instaure sans elles ! Leur absence nous rappelle leur légitimité dans l'ensemble.
    Je digresse, je digresse. Voilà la deuxième partie du concert qui commence sous la baguette bienveillante de notre chef d'orchestre coréen. Il a invité son ami le Dragon Doré, joueur magistral du sheng, un bien drôle instrument à vent. Il se place au-devant de tous, habillé de noir et d'or, attendant le signal avec sa cornemuse asiatique au bec. Il finit par se lancer, seul, puis les violoncelles le suivent au fur et à mesure. Il a l'air de bien s'entendre avec tous, c'est ce qu'on se dit de prime abord. Puis, très vite, on se rend compte que le tonnerre gronde au loin et se rapproche vers notre pauvre Dragon esseulé. Le déluge commence et s'abat sur la scène. Un vrai branle-bas de combat ! Le Dragon ne se laisse pas avoir aussi facilement : il esquive, virevolte, danse à chaque éclair qui frappe. Ensuite, c'est la pluie qui tombe en trombe. Mais notre ami doré ne s'en fait pas pour si peu et continue joyeusement sa mélodie. Et il continuera jusqu'au bout, jusqu'à son dernier souffle contre vents et marées, contre les armées déchaînées, contre l'oubli de son chant. Et ce combat, il l'aura mené en gardant l'harmonie de toutes choses.

        Une fois dehors, je regardai le ciel dans l'espoir de revoir passer ce fier être. Je me rendis très vite compte que j'attendais en vain, que toute cette féérie ne faisait qu'habiter mon esprit. La musique m'avait envoûté et empli d'émotions. On m'attendait tandis que je flânais. Je rejoignis tout le monde, le coeur léger : le chant du dragon résonnait en moi.

     

    Nicolas


  • Commentaires

    1
    mat
    Jeudi 20 Septembre 2012 à 23:50
    La grâce de ta plume combinée à la légèreté de ton âme déclenchent en moi la douce euphorie du sentiment admiratif. Chapeau Nico!!
    2
    mat
    Jeudi 20 Septembre 2012 à 23:50
    La grâce de ta plume combinée à la légèreté de ton âme déclenchent en moi la douce euphorie du sentiment admiratif. Chapeau Nico!!
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    3
    Artémis
    Vendredi 21 Septembre 2012 à 17:28
    Aaaah je nous revois, dans cette salle, à écouter et savourer le son de cet instrument plus qu'exotique =) Très beau texte, comme toujours Nico...
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :