• Le bracelet de Lili

    À P.


     

        Souvenirs, souvenirs... Il faut que je vous dise, je suis un grand sentimental, un sacré émotif. Ah mais je n'ose pas l'admettre, j'essaye de le cacher, de le dissimuler tout à fait. Que de tempêtes intérieures auxquelles j'ai dû faire face... Pas de secrets, faut tenir bon et rien lâcher dans ces cas-là. Surtout pour un loustic dans mon genre. On a vite fait de s'emporter, de s'inventer mille et un scénario impossible à tel point qu'on sait plus ce qu'on doit faire. De la lucidité que diable ! Voilà ce qu'il faut que je garde en tête. Je suis déterminé, c'est définitif.
    C'était en somme ce que je pensais pendant que je l'attendais. Au fond je ne me croyais pas vraiment. Déjà, je commence à dériver d'une pensée à l'autre. Que vais-je faire quand je vais la voir ? L'étonner, la surprendre ? Je me prends soudain pour un albatros, oiseau majestueux, fier, gracieux et magnifique. Ah ! Quel orgueil ! Je veux être un oiseau de rêve mais je suis cloué au sol... Me voilà dans la même infâme situation que ce Diomédéidés de ce cher Baudelaire, tout pataud, gauche et veule. Et encore ! Je suis bien présomptueux de me comparer à un si bellâtre. Je suis tout crabe boiteux, misérable, caché sous sa carapace. Ah mais non, je ne m'y résoudrais pas ! Je veux la faire rêver ma petite Lili ! L'emmener partout sur mon dos, la rendre fière de moi. Qu'elle rende les autres jaloux quand elle parlera de moi. Pour cela, je lui raconte tous mes rêves, mes projets, mes ambitions. J'ai de la volonté quand je lui raconte. J'y crois dur comme fer ! Ahah ! Mais je déchante très vite. Ma motivation me fait grandement défaut. Je me sens alors tout honteux. Elle ne m'en reparle jamais de mes projets, elle doit bien s'en rendre compte...

        Ah ! La voilà qui arrive ! Mon adorée ! Ma vision du monde change complétement quand je l'aperçois. Plus rien d'autre n'a d'importance. Y aurait-il eu quelqu'un pour me donner un million d'euros à ce moment précis que je te l'aurais envoyé valser ce bougre d'imbécile. Ah ça fallait pas venir me troubler dans des instants pareils ! A présent, elle est suffisamment proche pour m'enivrer de son parfum. Je n'en puis plus. Mon cœur bat la chamade à tout rompre. J'essaye de rester stoïque, ne rien laisser paraître. Bon sang, quel que soit le parfum qu'elle mettra, ce sera pour moi la même décharge d'émotion qui en découlera. Ça n'a pourtant l'air de rien de prime abord, pas l'air extraordinaire, une odeur rien de plus. Seulement c'est sans compter la partie limbique de cet organe gris mou qui aura retenu la délicieuse odeur et reproduira cette même décharge dès que mes narines humeront ces précieuses saveurs. Il ira jusqu'à me convaincre de la présence de cet être cher même lorsqu'elle est absente et qu'une autre porte un parfum identique. Ah mais c'est que je suis perdu dans de pareilles conditions ! J'enrage, je la cherche, je ne sais plus où donner de la tête. Rendez-vous compte des états dans lesquels peut me mettre une odeur ! Associez cette odeur à une personne et même à LA personne devrais-je dire et admirez le branle-bas de combat interne. La puissance du parfum... Rien de mieux pour vous offrir une session nostalgie. Plus tard, j'essayerai de récupérer tous ces parfums qui ont de la signification. Ceux qui rappellent un été, ceux qui rappellent un amour, ceux qui rappellent un hiver, ceux qui rappellent un chagrin... J'embaumerai alors une pièce d'un de ces souvenirs. Je créerai à nouveau cette ambiance, cette sensation qui n'existe plus que dans le passé...
    Voyez ! Je vous avais prévenu. Je me suis laissé aller dans l'excès. Pourtant cet excès ne restera que sous la forme de pensée. Ne voulais-je pas la surprendre c'est ça ? Me voilà tout lambin, demeurant interdit face à elle. Ah ! Je bisque positif !

        A ce moment, elle porte une robe des plus resplendissantes. Cela lui aura d'ailleurs valu une remarque peu avenante d'un gros beauf de service quelques minutes auparavant. Elle me raconte. Je ricane, je préfère rire des types comme ça, y a pas à aller chercher plus loin...
    "C'est pas drôle !" qu'elle rétorque. Me voilà admonesté. Je ne réponds rien, je me sens fautif d'avoir réagi de la sorte. Il faut me comprendre, je ne ris que par exaspération des lascars de cette sorte. J'en ai assez de les blâmer, ça ne mène à rien.
    On change très vite de sujet, on parle de tout et de rien. C'est assez plaisant. On finit par arriver dans un parc. Il fait beau, c'est le début du printemps, on s'assoit dans l'herbe. Je peux alors pleinement la contempler. Elle est mon anima. Je m'émerveille devant la beauté de ses boucles brunes, je chavire face à son sourire, son regard me transperce et m'emplit de bonheur. Je peux avoir l'air sacrément niais dans ces situations mais ça me suffit. Elle porte également à son poignet droit le bracelet que je lui avais offert. Je ne le cache pas, cela me remplissait d'un grand contentement. J'ai laissé une part de moi-même dans ce simple bijou, la voir le porter était au-delà de mes attentes.
    Elle est d'humeur taquine à présent, elle se moque gentiment de mes dires. Oh ! Mais je ne vois que le premier degré, j'ergote, je me vexe, je boude alors ! Je veux qu'elle m'embrasse qu'elle me câline à la place. Elle préfère attendre que je me rende compte de mon erreur. Je grommelle intérieurement quelques instants avant de réaliser ma réaction disproportionnée. Ah ! Maintenant c'est moi qui ai envie de la cajoler, la choyer. Tout est résolu, je suis redevenu tout mièvre guimauve.
    Il est temps de se relever pour continuer à se promener un peu. C'est elle qui propose. J'accepte bien que j'eusse aimé rester à cet endroit toute ma vie. On marche en silence, main dans la main. C'est notre moment de répit de la semaine face à ce monde fou. Il va être temps de se dire au revoir. Déjà...

        Le temps a passé, les gens évoluent ainsi que les relations. Tous les jours qui se sont écoulés depuis ont ajouté une part infinitésimale de réflexion tant par rapport à la globalité que la particularité des rapports humains. Toute relation n'est jamais immuable et peut demander plus de recul et de distance. Cependant, le respect et l'affection n'ont pas moins changé dans ce cas précis. Il n'y a aucun regret à avoir. Ou peut-être un seul. Ne plus voir ce fameux bracelet à ce si joli poignet puisqu'il reflète une relation présente et non pas un fait passé...


     

    Nicolas


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