•     "Ça a débuté comme ça." Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, nous fait voyager au côté de Ferdinand Bardamu, narrateur et acteur de son propre périple au fil du temps qui passe. Bardamu, imprégné par l'expérience personnelle de son créateur, commencera par s'engager dans l'armée à l'âge de 20 ans et participera à l'horreur de la Grande Guerre. S'en suit alors toute la désillusion qu'il avait du monde : "on est puceau de tout, même de l'horreur." Blessé puis déclaré inapte au combat face au traumatisme des massacres, il sera envoyé dans "L'Enfer" d'une colonie d'Afrique puis ira vivre tant bien que mal à New York et Détroit pour finalement revenir en France et travailler comme médecin des pauvres en banlieue parisienne où il côtoiera la misère humaine jusqu'à la fin du roman.


    La guerre :

        Cet "abattoir international en folie" marque le point de départ du pessimisme et du cynisme qui se retrouve tout au long du Voyage. Bardamu refuse le patriotisme de l'époque, il préfère la lâcheté face à l'absurdité de ce massacre. Il a d'ailleurs essayé de déserter avant de se faire blesser.
        
        " Oh! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat...
    - Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans... Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi... Je ne pleurniche pas dessus moi... Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c'est eux qui ont tort, Lola, et c'est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.
    - Mais c'est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n'y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger...
    - Alors vivent les fous et les lâches ! Ou plutôt survivent les fous et les lâches ! Vous souvenez-vous d'un seul nom par exemple, Lola, d'un de ces soldats tués pendant la guerre de Cent Ans ?... Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ?... Non, n'est-ce pas ?... Vous n'avez jamais cherché ? Ils vous sont aussi anonymes, indifférents et plus inconnus que le dernier atome de ce presse-papier devant nous, que votre crotte du matin... Voyez donc bien qu'ils sont morts pour rien, Lola ! Pour absolument rien du tout, ces crétins ! Je vous l'affirme ! La preuve est faite ! Il n'y a que la vie qui compte. Dans dix mille ans d'ici, je vous fait le pari que cette guerre, si remarquable qu'elle nous paraisse à présent, sera complétement oubliée... À peine si une douzaine d'érudits se chamailleront encore par-ci, par-là, à son occasion et à propos des dates des principales hécatombes dont elle fut illustrée... C'est tout ce que les hommes ont réussi jusqu'ici à trouver de mémorable au sujet les uns des autres à quelques siècles, à quelques années et même à quelques heures de distance... Je ne crois pas à l'avenir, Lola..."



    L'Afrique :

        Ce voyage nous montre très vite que, sous d'autres formes, la guerre et toute l'absurdité de la société se poursuivent là. Partout les privilégiés exploitent les autres. De ce point de vue, la colonie offre le spectacle instructif d'un monde divisé en castes où les Européens présents, tous également minés par un climat pour lequel leur organisme n'est pas fait, exploités par les propriétaires parisiens de la Compagnie poudrière ou autres supérieurs, se briment les uns les autres en fonction de la hiérarchie, et maltraitent tous les indigènes qu'ils prétendent civiliser

        "Tout le monde devenait, ça se comprend bien, à force d'attendre que le thermomètre baisse, de plus en plus vache. Et les hostilités particulières et collectives duraient interminables et saugrenues entre les militaires et l'administration, et puis entre cette dernière et les commerçants, et puis encore entre ceux-ci alliés temporaires contre ceux-là, et puis de tous contre le nègre et enfin des nègres entre eux. Ainsi, les rares énergies qui échappaient au paludisme, à la soif, au soleil, se consumaient en haines si mordantes, si insistantes, que beaucoup de colons finissaient par en crever sur place, empoisonnés d'eux-mêmes, comme des scorpions."


    New York et Détroit :

        La première vision de New York, « ville debout », impressionne Bardamu. Mais cet eldorado se protège, et il n'est pas facile d'y pénétrer. Bardamu doit pour cela s'inventer agent compte‑puces au bénéfice des services d'immigration. Les pauvres, aux États‑Unis, ne vivent pas mieux qu'ailleurs. On a inventé pour eux, Bardamu le découvre à l'usine Ford de Detroit, une forme nouvelle d'esclavage qui est le travail à la chaîne. Bardamu ne pourra s'y soustraire que grâce à la tendresse d'une prostituée, Molly, qui lui offre pour le reste de sa vie la perspective d'un bonheur tranquille mais qu'il ne parvient pas à accepter et décide de retourner en France.

        "Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines vous écœurent, à leur passer des boulons encore, au lieu d'en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d'huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C'est pas la honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre. On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C'est fini. Partout ce qu'on regarde, tout ce que la main touche, c'est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi aussi comme du fer et n'a plus de goût dans la pensée.
        On est devenu salement vieux d'un seul coup.
        Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d'elle de l'acier, quelque chose d'utile. On l'aimait pas assez telle qu'elle était, c'est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c'est la Règle.
        [...] Personne ne parlait. On existait plus que par une sorte d'hésitation entre l'hébétude et le délire. Rien n'importait que la continuité fracassante des mille et mille instruments qui commandaient les hommes."


    Le travail de médecin :

        Une fois en France, Bardamu termine ses études de médecine et s'installe en banlieue parisienne. Il y découvre d'autres formes de la difficulté de vivre. Médecin de clientèle puis de dispensaire, confronté sans cesse à la maladie et à la mort ainsi qu'à l'esprit de calcul et la mesquinerie au travers de ses clients. La thématique de la pourriture est très présente, les milieux misérables qu'il est amené à fréquenter font ressortir les aspects de décomposition et de pourrissement de l'individu qui doit affronter les maladies, sa propre dégénérescence, les odeurs, la putréfaction, etc. La mort la plus insupportable à ces yeux sera celle d'un enfant.

        "On n'est jamais très mécontent qu'un adulte s'en aille, ça fait toujours une vache de moins sur la terre, qu'on se dit, tandis que pour un enfant, c'est tout de même moins sûr. Il y a l'avenir."

    Robinson, double de Bardamu ? :

        Bardamu rencontre Léon Robinson à la guerre alors qu'il veut déserter. On le retrouve ensuite tout le long du roman. Dans la première partie, Bardamu poursuit Robinson. Il est un modèle de salut individuel. Il semble être le guide, l'initiateur, destiné à un sort exceptionnel. Il fait tout ce que Bardamu n'ose faire : il déserte la guerre, fuit son poste en Afrique, tue la vieille Henrouille. Robinson représente une anticipation au destin de Bardamu, il espère y voir l'image de la réussite or Robinson ne fait qu'échouer dans ses tentatives. Lorsqu'il retourne en France, Bardamu ne poursuit plus l'image de son propre destin, il la fuit car l'échec de Robinson est le signe de son propre échec.
    Mais Robinson est également la fascination de la mort. Il appartient aux malheureux qui comprennent que leur vie est une mort différée. D'ailleurs, au début du roman, Bardamu dira à Robinson alors qu'il rencontre un mort : "Le plus curieux, c'est qu'il te ressemble un peu."
    Si Robinson représente au début la pulsion de la vie, la volonté d'échapper à l'emprisonnement, Bardamu comprend par la suite que ce besoin d'un ailleurs est le revers de la pulsion de mort de Robinson. Le roman s'achèvera sur sa mort, qui semble préfigurer celle de Bardamu.    


        "Et je restais devant Léon, pour compatir et jamais j'avais été aussi gêné. J'y arrivais pas... Il ne me trouvait pas... Il en bavait... Il devait chercher un autre Ferdinand, bien plus grand que moi, bien sûr, pour mourir, pour l'aider à mourir plutôt, plus doucement."



    "Qu'on n'en parle plus."

     

     

    Nicolas pour l'Isbaz'Art


    votre commentaire
  •  
     
     
    rubber1
     

                                                                                   

    Ci -joint mon commentaire audio sur ces deux films ... cela me parait beaucoup plus agréable , et beaucoup moins formalisé ... donnez votre avis !

     

    Electroma ( en entier ) :

     


                       

     

    Choukri pour l'Isbaz'art


    1 commentaire
  • Sorti en 1985, Brazil est un film dont l'histoire se déroule dans un futur proche. A l'instar de 1984 de George Orwell, on est tout de suite plongé dans l'ambiance oppressante d'un état bureaucratique totalitaire qui n'hésite pas à traquer ses opposants. Brazil s'intéresse à un fonctionnaire sans histoire qui travaille dans l'énorme machine bureaucratique de l'Etat : le Ministère de l'Information et qui n'est pas du tout adapté à cette société où toutes les choses lui semblent absurdes. Il s'échappe de ce monde en s'imaginant en tant que héros romantique et ira jusqu'à confondre utopie et réalité ce qui le fera apparaître comme dissident aux yeux de l'Etat.

    Brazil est évidemment une mise en garde et une critique par rapport à la société de 1985 où l'absurdité de certaines règles du système administratif ou de la folle avancée scientifique et technologique est caricaturée (il est d'ailleurs intéressant d'essayer de voir quels sont les problèmes qui sont toujours d'actualité). On trouve également de nombreuses influences telles que Hitchcock, Kubrick, Lang, etc.


     

    brazil

     

     

    Nicolas pour l'Isbaz'Art


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique